CHEIKH SADIBOU DIOP, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’ORDRE DES ARCHITECTES DU SÉNÉGAL «Nous ne sommes associés qu’à 7 % des projets de construction»

Date:

Santé & Environnement

LE SOLEIL – MERCREDI 13 OCTOBRE 2021 REPUBLIE Le 04 JANVIER 2024 A4PERSPECTIVES

Cheikh Saddibou DIOP© Malick MBOW
CHEIKH DIOP SG ODAS © Malick MBOW

 Le Secrétaire général de l’Ordre des architectes du Sénégal, Cheikh Sadibou Diop, qui s’est incliné devant la mémoire des victimes d’effondrements récents d’immeubles, n’a pas manqué l’occasion de pointer du doigt les causes des accidents dans le secteur du bâtiment. Ces effondrements sont, à ses yeux, la résultante d’un laisser-aller dans un secteur qui exige la technicité sur toute la chaîne. Il révèle que les architectes et les bureaux d’ingénieurs ne sont associés qu’à 7 % des projets de construction au Sénégal.

Au cours de ces dernières années, nous avons eu des effondrements de bâtiments ou des dalles avec des conséquences parfois tragiques. Quelles sont les potentielles causes ?

Je m’incline, et avec moi tous les architectes de notre pays, devant la mémoire de toutes ces victimes dont le dénombrement est triste et ahurissant. Il existe de nombreuses causes qui expliquent que des bâtiments s’effondrent. Ces causes peuvent être isolées ou conjuguées. Ce qu’il faut retenir ici, c’est le dégât dû au fait de l’homme. Je vous fais remarquer que l’effondre[1]ment des bâtiments reste la conséquence ultime d’un paradoxe et d’un laisser-aller dans un secteur où l’auto-construction, l’impunité et les négligences coupables sont très en vue. Il se déroule sous nos yeux des surcharges énormes au-dessus de certains bâtiments sans que les précautions d’usage ne soient envisagées au regard de leur faisabilité. En plus de cela, il faut savoir que la plupart des bâtiments qui s’effondrent présentent souvent des pathologies qui ont été ignorées. Le défaut d’entretien et les problèmes d’étanchéité sont aussi à considérer. Le manque de savoir-faire dans la conception et la réalisation est patent. Si je vous révèle que les architectes et les bureaux d’ingé[1]nieurs interviennent pour moins de 7% de ce qui se construit au Sénégal, vous en déduirez aisément le facteur potentiel affectable aux édifices susceptibles de présenter de graves dangers à cause de l’insuffisance de connaissances techniques des acteurs mis à contribution pour les concevoir et les construire sans aucune garantie de durabilité. Le déséquilibre structurel est souvent au cœur de ces désordres. On note ainsi que les sinistres touchent les bâtiments sans architectes et sans études tech[1]niques sérieuses préalables.

Donc, le non-recours aux professionnels est la cause principale des effondrements ?

En se passant des services de bons professionnels, beaucoup de propriétaires d’immeubles s’exposent et choisissent inconsciemment de « payer le prix du danger » plutôt que d’obtenir des conseils d’un architecte dont le rôle est de maîtriser et de sécu[1]riser leurs investissements. Il faut également noter au chapitre des causes potentielles de ces sinistres qu’il existe depuis toujours une prolifération de faux ingénieurs, de faux architectes que beaucoup de nos concitoyens n’arrivent pas à démasquer et à livrer à la justice, de la même manière qu’on le fait avec les détenteurs de chanvre indien. Les tâcherons que nous avons dans la plupart des chantiers s’érigent en ouvriers polyvalents sans formation technique véritablement appropriée à la pratique de métiers soumis à des exigences de qualification, de rigueur et de respect des prescriptions et normes très pointues. Au total, les ouvriers que nous avons dans nos pays doivent travailler sous ordre des hommes de l’art ; faute de quoi les dégâts vont se succéder. Cela ne signifie pas qu’ils sont à bannir ou qu’ils ne soient pas les bienvenus au boulot. Bien au contraire ! Il faut les prendre en charge et les for[1]mer sans raccourcis. Il faut aussi circonscrire leur implication à ce qu’ils savent faire convenablement.

Les tâcherons que nous avons dans la plupart des chantiers s’érigent en ouvriers polyvalents sans formation technique véritablement appropriée à la pratique de métiers soumis à des exigences de qualification, de rigueur et de respect des prescriptions et normes très pointues

 

L’ouvrier est au cœur de l’acte mais nous leur reconnaissons certaines insuffisances que l’État doit contribuer à corriger. Ils sont le produit de déperdition scolaire et n’ont pas souvent les capacités à être autonomes pour intervenir en solo pour lire des plans, les interpréter au même titre que les dossiers techniques d’exécution de travaux. C’est sur ce chapitre de la formation professionnelle de masse que l’État et ses démembrements sont hautement attendus.

Le Président de la République a proposé de renforcer le contrôle et les inspections des bâtiments.

Est-ce que cette solution pourrait produire des résultats ?

Pour atteindre ce niveau de performance et les résultats probants, l’État doit d’abord mettre en une chaîne complète et réaliser le contrôle. Il faudra nécessairement combler le gap de ressources humaines appropriées et il est aussi nécessaire de doter les services des communes d’agents compétents. Cette question devrait trouver sa solution avec la signature de convention d’assistance technique entre l’Ordre des architectes et les collectivités locales appuyées par le Ministère de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique. Bien sûr que les ingénieurs devront faire partie d’un tel dispositif technique ! En dehors de ce système de vacation confiée à des acteurs assermentés, je ne vois pas comment le contrôle tous azimut pourrait devenir réalisable sur l’ensemble du pays. Il s’y ajoute que le recours aux architectes, bien qu’il ait été rendu obligatoire, deviendra effectif et permettra d’obtenir un bond qualitatif de nos bâtiments.

On voit souvent la construction de maisons à plusieurs étages, confiée à des maçons sans un cabinet de contrôle.

Pensez-vous qu’il faut mettre un terme à cette pratique ?

 

Il faudra nécessairement combler le gap de ressources humaines appropriées et il est aussi nécessaire de doter les services des communes d’agents compétents.

 

Nous avons tous constaté ce fait grave et récurrent qui est loin d’être un simple épiphénomène. C’est en laissant prospérer ces pratiques que toutes ces bâtisses hors normes érigées en parfaite illégalité au moyen d’une chaîne de complaisances d’agents des services publics chargés de vérifier l’état de conformité et de qualité du contenu des demandes de permis de construire. La police du bâtiment existe avec l’Inspection générale des bâtiments (Igb), la Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation du sol (Dscos), les services de la Protection civile, les Services d’Hygiène ainsi que les Services techniques communaux et tous les acteurs commis à cette fin sont donc impliqués. La question qui mérite d’être soulevée est de savoir si ces services que j’ai cités ont-ils les ressources humaines suffisantes et qualifiées pour abattre ce travail titanesque sur l’ensemble du territoire national ?

Bien sûr que non et c’est en cela que de grandes innovations doivent intervenir pour déboucher sur une complémentarité appuyée par les entités organisées en ordres professionnels et les services publics. Il faut éradiquer les vieilles pratiques à haut risque dans le secteur du bâtiment. Il faut arriver à mettre un terme à toutes les pratiques indues. Chaque acte doit être autorisé en parfaite connaissance du profil de l’acteur qui le fait. Cela va de l’architecte aux manœuvres en passant par les bureaux d’études techniques, les bureaux de contrôle, les assureurs, etc. Il nous arrive bien souvent, dans notre mission de suivi des chantiers, de faire démolir aux frais des entrepreneurs des ouvrages élémentaires présentant des malfaçons. Qu’en serait-il si nous n’avions pas été là pour garantir les rectifications nécessaires aux bons moments ?

Quel serait l’apport du nouveau Code de l’urbanisme dans la prévention de l’effondrement des bâtiments ?

L’épanouissement du droit de la construction se fera pour beaucoup sous le régime de la contrainte pour le bien des maîtres d’ouvrages et de la bonification permanente de notre cadre de vie. Un code de cette nature doit tout prévoir dans le but de réguler et de codifier les actes de construire et de déconstruire quand il le faut. Il est évident que dans sa partie réglementaire, il sera porté une attention aux conditions de sécurité et de sureté. L’apport du nouveau code ne m’est pas connu dans la mesure où je n’ai pas été associé à ce travail. Celui qui fait l’objet de la loi 2009-23 était déjà très bien sous certaines coutures. C’est bien dommage que l’Ordre des architectes soit à l’écart de ces travaux.

Propos recueillis par Idrissa SANÉ

1 COMMENTAIRE

  1. L’ordre des architectes est à l’écart parce qu’au jour d’aujourd’hui peu sont les architectes qui font de l’architecture. La majorité peut être considérée comme des entrepreneurs à chercher l’argent de gauche à droite. S’il faut payer une entreprise et payer un architecte pour objectif final les deux se mettent pleins les poches mieux vaut payer juste l’entrepreneur.
    Les architectes au Sénégal sont nuls ! Aucune imagination. Aucune finesse dans leur création. Les uns copient les projets et les collent. Les autres répètent les projets tacitement sans étudier les sites où ils vont les implanter, ni la spécificité des régions. Comme peut-on prendre un projet à Dakar et le répéter à Touba. Ils ont perdu toute liberté architecturale. Normale: « il ne peut y avoir de liberté si l’argent est roi » Albert Camus. Il est tant que l’ordre travaille sur ça au lieu de se plaindre à tout va pour qu’on leur donne des projets.

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