LES TRAVAUX DU MÉMORIAL DE GORÉE VONT DÉMARRER AVANT LA FIN DU MANDAT DE MACKY SALL

Date:

Aliou Sow a réaffirmé, jeudi, à Dakar, la volonté de l’État d’ouvrir le chantier du mémorial de Gorée avant la fin du mandat du président de la République, Macky Sall.

Publication 24/11/2023

 

Dakar, 23 nov (APS) – Le ministre de la Culture et du Patrimoine historique, Aliou Sow, a réaffirmé, jeudi, à Dakar, la volonté de l’État d’ouvrir le chantier du mémorial de Gorée avant la fin du mandat du président de la République, Macky Sall.

C’est ‘’un projet qui tient à cœur le chef de l’État’’, qui souhaite lancer les travaux de cette infrastructure avant de transmettre le pouvoir à son successeur en avril prochain, à la suite de l’élection présidentielle du 25 février, a assuré M. Sow. ‘’Les services de l’État sont mis à contribution pour trouver les voies et moyens de démarrer au plus vite ce chantier’’, a répondu Aliou Sow lorsqu’il a été interrogé par les députés sur le mémorial de Gorée.

Le poète Amadou Lamine Sall est le commissaire général du mémorial de Gorée qui, initialement, devait être construit sur la corniche ouest de Dakar.

C’est un important projet culturel, dont on parle depuis plusieurs décennies.

  • Il s’est écoulé presque dix-sept ans entre l’annonce des résultats du concours international pour la conception du Mémorial de Gorée et sa réanimation politique. Comment le lauréat incontesté de cette compétition a-t-il vécu cette longue période de silence et d’attente ?

  • Ottavio Di Blasi

    Vous savez, il y a des projets que vous ne pouvez pas oublier, des rêves qui se refusent obstinément à mourir. C’est vrai que dix-sept ans, c’est long, très long même. Beaucoup de temps s’est écoulé, notre cabinet a réalisé de très belles choses, mais l’idée du mémorial est restée vivante – c’est même le propre des grandes idées.

    Tous les dessins, tous les plans du mémorial sont restés accrochés aux murs de notre studio à Milan, comme si nous savions intimement que nous devions nous tenir prêts, qu’un jour, peut-être, on nous appellerait à nouveau…

  • C’est donc ce qui s’est produit l’année dernière ?

  • Ottavio Di Blasi

    Oui. Amadou Lamine Sall qui porte l’entreprise du mémorial à bout de bras depuis plus de vingt ans, depuis l’époque du président Abdou Diouf, m’a contacté. Amadou est devenu un ami, alors il m’a dit sobrement : « Ottavio,on va le faire, enfin. Tes crayons sont-ils taillés ? »

    Le président Macky Sall venait de lui donner le feu vert politique qui manquait depuis si longtemps. Il venait également de réanimer la Fondation Gorée, le maître d’ouvrage de l’édifice. Il fallait se remettre au travail. Vous l’aurez compris, ce ne fut pas bien difficile.

  • Justement, la conception initiale a-t-elle conservé toute sa pertinence symbolique entre 1996 et aujourd’hui dans des contextes politiques totalement différents ?

  • Ottavio Di Blasi

    Mais le mémorial n’est certainement pas une œuvre politique ! C’est d’abord une création philosophique, initiée, à l’origine, par les intellectuels du monde noir. Nous avons évidemment réactualisé et même redimensionné l’architecture. Presque deux décennies venaient de s’écouler, ce n’était pas rien. Mais je crois que le jury de 97 avait bien compris l’essence du projet. Notre proposition possédait justement cette force symbolique intemporelle qui sait résister aux modes et aux idéologies. C’est d’ailleurs pourquoi les modifications actuelles sont plus d’ordre technique que conceptuel, à l’exception notable du matériau utilisé pour les coques.

  • Ottavio Di Blasi

    Durant cette longue période de silence, j’ai eu l’occasion de montrer le projet originel à de très nombreuses personnes, dans toutes les régions du monde. Ce qui ressortait systématiquement de ces rencontres, ce qui était même surprenant à vrai dire, c’était l’appropriation personnelle, culturelle du bâtiment par mes différents interlocuteurs. Les Européens reconnaissaient souvent une grande voile, comme un « spinnaker » géant, vous savez cette voile très ample située à l’avant des voiliers et qui bombe son large torse sous l’assaut des vents d’Éole. D’autres voyaient une abside d’église comme pour souligner la dimension spirituelle – je ne dis pas « religieuse », mais bien « spirituelle » — de l’édifice. Mes amis africains – certains d’Amérique du Sud — y retrouvaient plutôt les lignes d’une pirogue, d’un masque, de coquillages, d’une tour en terre cuite. Au Moyen-Orient, certains évoquaient les formes d’un minaret moderniste…

  • Ottavio Di Blasi

    Bref, c’est cet aspect universel des formes du mémorial qui lui a permis, à mon avis, de conserver cette puissance d’évocation. Cette variété d’interprétations me remplit de joie, car cela prouve bien que le mémorial parle une langue commune à des gens de toutes les origines, géographiques, culturelles, sociales.

  • N’est-ce pas rassurant pour un artiste de voir ses choix de créateur adoptés immédiatement par le public ?

  • Ottavio Di Blasi

    C’est même incroyablement gratifiant de constater à quel point les gens réagissent de manière aussi positive et enthousiaste. Peut-être aussi, parce qu’au-delà de cette capacité de l’édifice à favoriser une appropriation personnelle, tous ressentent la dimension de partage, de générosité qui émane du bâtiment. Beaucoup perçoivent, indifféremment de leurs personnalités, la puissance d’un lien fraternel. J’ai voulu que le mémorial soit une œuvre collective, alors cette aperception du public qui établit un lien invisible entre l’ouvrage et la communauté humaine est, pour moi, une vraie satisfaction. Je pense que, sur un plan architectural, cette émotion est produite par les cellules hexagonales qui protègent le mémorial. Regardez : cette surface en alvéoles est conçue comme une sorte de nid d’abeilles.

  • Je ne crois pas me tromper en relevant d’ailleurs qu’il s’agit là d’une des spécificités de votre projet. Je n’ai pas le souvenir d’ouvrages comparables.

  • Ottavio Di Blasi

    Presque toutes les architectures du monde sont construites en « volume plein ». Celle du mémorial est le résultat d’un dialogue entre deux formes opposées : une première, pleine et convexe, la « flèche basse » qui abrite les activités du centre culturel. Et une seconde, concave, « vide » pourrions-nous dire, qui s’élève vers le ciel et offre son « vide » à l’océan. Ce « vide » représente pour moi le ventre outragé d’une mère : quelque chose a été déchiré, arraché violemment.

  • Cette notion de viol, de viol collectif même de l’Afrique natale et nourricière reste le point de départ du projet et sa raison d’être mémorielle ?

  • Ottavio Di Blasi

    Il ne pouvait pas en être autrement. Mais je voudrai d’abord finir sur cette cohabitation des formes antagonistes, la « pleine » et la « vide », car il s’établit un dialogue perpétuel entre elles, dans une sorte de lents mouvements de balancier – du temps — qui les assemblent tout en garantissant leur équilibre. Pour revenir à votre propos, le mémorial est d’abord un projet africain, pour l’Afrique et les Africains, pour ne pas oublier. Pardonner bien sûr, mais ne jamais oublier, comme disait le Président Mandela. L’édifice va s’élever sur le point le plus occidental du continent africain, en face de la mer, son ventre ouvert, vidé, tourné vers la ligne d’horizon qui cache les Amériques. Sa localisation, son orientation font déjà office de symboles par elles-mêmes.

    Ensuite, il sera construit le long de la Corniche Ouest de Dakar qui est une zone extrêmement animée. L’approche des visiteurs s’effectuera ainsi à travers une zone de marché de plus de 700 m², dans laquelle les petits commerçants de Dakar exerceront leurs activités. Le visiteur sera donc plongé au cœur même du continent noir, dans ses bourdonnements, ses couleurs, ses odeurs, ses vibrations, ses respirations.

    Et puis, petit à petit, en se rapprochant du bâtiment lui-même, commencera à s’installer ce sentiment de l’absence. Le mémorial sera isolé du bruit de la ville par un parc public d’environ 6000 m², qui est aussi une sorte de sanctuaire : le « Jardin des peuples noirs », un espace non pas arboré par de grands baobabs, mais par des stèles élancées surgissant de la terre, gravées du nom des ethnies qui furent victimes de la traite négrière. Un nom par stèle, une stèle par tribu, non pas celles des nations, mais bien les totems des peuples asservis.

    Dans le Jardin des peuples noirs, Hutu et Tutsi cohabiteront pour l’éternité. Nous voulions donner une dimension un peu initiatique au parcours du visiteur pour favoriser la réflexion, la méditation, le recueillement. Et je pense que l’expérience la plus intime et la plus intense sera atteinte lorsque le visiteur s’apprêtera à gagner la passerelle de ce que j’appelle l’« Œil de Gorée ».

  • Ottavio Di Blasi

    C’est une plateforme panoramique située à 75 mètres de hauteur, placée dans cette forme « vide » que nous évoquions tout à l’heure et à laquelle le visiteur accédera par des ascenseurs. Là-haut, loin du bruit de la ville, loin de l’agitation des affaires humaines, dans ce vide du temps situé entre Afrique et Océan, le visiteur sera convié à une méditation personnelle entre tragédie du passé et espérance pour l’avenir. C’est pourquoi je pense vraiment que la visite du mémorial offrira une expérience émotionnelle tout à fait exceptionnelle. Qui se terminera, bien sûr, par le voyage vers l’île de Gorée elle-même, en chaloupe, accessible directement depuis le nouvel embarcadère.

  • De quelle « espérance pour l’avenir » parlez-vous, lorsque vous évoquez la méditation personnelle du visiteur ?

  • Ottavio Di Blasi

    Au-delà des valeurs formelles et symboliques, le mémorial n’est pas seulement un monument. C’est aussi un centre de culture vivante, au sens où l’entendait, je crois, le président Léopold Senghor qui fut le premier à avoir imaginé un centre des Civilisations noires. C’est un complexe culturel, de savoir, d’exposition, de recherche, de réflexion, de dialogue, de partage, structuré comme tel, avec des espaces intérieurs et extérieurs précisément adaptés pour favoriser ces différentes activités. C’est dans cette perspective que j’évoque cette notion d’« espérance », « espérance » d’une meilleure compréhension entre les peuples et les cultures à laquelle contribuera, je l’espère, cette effervescence intellectuelle d’un complexe finalement interculturel. Le mémorial offrira ainsi la possibilité d’un riche dialogue destiné à éviter de nouvelles tragédies humaines.

  • Vous évoquiez au début de cet entretien des modifications architecturales par rapport au projet de 1997. Pouvez-vous les préciser ?

  • Ottavio Di Blasi

    Le projet retenu lors du concours de 1997 proposait un édifice construit pour moitié sur terre et pour moitié prenant assise dans la mer. Sur un plan technique, cette conception entraînait de nombreux problèmes de construction et un coût final très élevé. La nouvelle implantation a donc été légèrement déplacée vers la terre ferme. Nous avons aussi redimensionné le mémorial. Nous avons réduit légèrement sa hauteur (105 mètres contre les 135 mètres prévus à l’origine) et sa circonférence.

    Mais le grand changement, presque conceptuel, est le matériau utilisé pour les coques. À l’origine, c’était du béton armé, car nous ne disposions pas, en 1996, d’alternatives techniquement fiables. Cette option entraînait des coûts considérables pour les fondations, posait des problèmes d’entretien et de durabilité importants, mais, surtout, d’un point de vue architectural, proposait un aspect visuel un peu trop compact et agressif qui ne correspondait pas à nos intentions. Aujourd’hui la technologie met à notre disposition une solution beaucoup plus adaptée qui nous libère de ces contraintes. Les coques seront donc construites en bois, un bois spécial bien sûr, traité pour une longévité garantie et ne nécessitant aucun entretien curatif. Ce faisant, nous obtenons également un gain écologique, d’abord parce que ce matériau a un très faible impact en carbone et, ensuite, parce qu’il est issu de plantations industrielles certifiées. Symboliquement, c’est un apport indéniable au projet : le bois, lui aussi, parle beaucoup de l’Afrique, c’est même un substrat naturel, sociologique, culturel du continent. Il suffit d’évoquer, par exemple, l’influence mondiale de la sculpture de bois africaine.

  • Vous aviez affirmé, lors d’une interview ancienne, que le mémorial, de votre point de vue, serait également un outil pour développement local ?

  • Ottavio Di Blasi

    Régional même ! Je sais que la fondation Gorée, qui est le maître d’ouvrage du mémorial, est en train de lancer les études de marché pour évaluer l’impact économique, direct et indirect, lié à l’exploitation future du site. Nous aurons une visibilité chiffrée dans les prochains mois. Mais ma conviction profonde, qui ne date pas d’aujourd’hui et qui se fonde sur mon expérience personnelle, m’incite à penser que le mémorial deviendra un point d’attraction touristique international majeur. Compte tenu de son poids symbolique, il ne me semble pas irréaliste de considérer que le mémorial de Gorée rejoindra le cercle restreint des pôles emblématiques incontournables qui attirent à eux les touristes du monde entier. Comme, par exemple, la tour Eiffel à Paris, l’Empire State Building à New York, le musée Guggenheim de Bilbao ou le London Eye de Londres.

Propos recueillis par John Marcus au cabinet Ottavio Di Blasi & Partners, à Milan le 22 août 2014 pour le compte de la Fondation Gorée  © 2014

 

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