REGARD SUR LE CONFLIT ISRAELO-PALESTINIEN, VINGT-CINQ ANS APRES MA BREVE VISITE EN CISJORDANIE.

Date:

M. Niasse, 18/10/2023
La crise au Moyen d’Orient, dont le nœud gordien est le problème palestinien, perdure. Elle semble connaître une nouvelle tournure avec les attaques de militants du Hamas perpétrées en Israël à partir de la bande de Gaza. Le lourd bilan de ces attaques a, à juste raison suscité émoi et indignation à travers le monde. Le massacre de civils innocents est inexcusable et est condamnable, quel qu’en soit l’auteur et la motivation. Mais la seule question qui vaille c’est de savoir comment mettre fin à la spirale de la violence. Chaque acte de violence est justifié par la légitime défense en réponse à une attaque subie antérieurement et est, elle-même suivie de représailles. C’est un cycle infernal, dans une région à partir de laquelle le monde peut s’embraser à nouveau.
Pour sortir de ce piège sans fin, l’humanité doit prendre à bras le corps la question palestinienne et lui trouver une solution définitive. La haine, les rancœurs accumulées, le clivage du débat concernant les relations israélo-palestiniennes empêchent d’entendre les voix provenant de l’autre bord, les complaintes de l’autre côté du mur et constituent par conséquent les principaux obstacles à un règlement pacifique durable.
Je fais partie des rares africains du Sud du Sahara à avoir eu l’opportunité de visiter la Palestine au cours des dernières décennies. Je me sens donc en devoir de témoigner pour faire mieux comprendre la situation des Palestiniens, mieux faire comprendre la cause palestinienne et suggérer des pistes de sortie de crise.
En 1999, alors que je travaillais à la Commission mondiale des barrages (CMB ou World Commission on Dams – WCD) à l’époque basée au Cap, en Afrique du Sud, je reçus une invitation à prendre part à une Conférence sur « L’eau dans le contexte du conflit arabo-israélien », un thème choisi pour discuter du partage inéquitable des eaux du fleuve jourdain, au détriment de la Cisjordanie palestinienne. Appuyée financièrement par le Qatar, la conférence devait se tenir du 29 avril au 1er mai à l’Institut de Droit de l’Université de Birzeit, dans la périphérie de Ramallah, en Cisjordanie. Je devais y parler de l’expérience de l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS), dont le modèle de partage des bénéfices tirées de l’exploitation des eaux du fleuve était et reste une référence dans le domaine de la coopération inter-étatique autour des eaux transfrontalières.
J’étais enthousiaste à l’idée de découvrir cette région où les tensions autour de l’eau –un domaine dans lequel je travaillais à l’époque—faisaient déjà l’objet d’une abondante littérature avec des avancées scientifiques importantes.
Mais je n’avais pas encore idée des différents écueils qu’il fallait contourner avant de prendre part à la rencontre. Pour la demande de visa, je contactai d’abord le consulat de l’Autorité Palestinienne à Prétoria. Après plusieurs jours d’atermoiements, on me fit comprendre qu’il fallait que j’adresse ma demande à l’ambassade d’Israël. Ce que je fis et la personne que j‘eus au téléphone de m’expliquer que « la Palestine n’existe pas ! » et que j’avais par conséquent tort de m’adresser à sa représentation pour le visa. En essayant de comprendre ce qu’il voulait dire, j’entrai de plain-pied dans l’imbroglio géopolitique du Moyen-Orient. Bref, il fallut l’intervention du cabinet du Président de la CMB qui était alors aussi l’un des plus influents ministres du gouvernement sud-africain pour que j’obtienne enfin le visa. A mon arrivée à l’aéroport de Tel Aviv, je fus l’objet d’un interrogatoire qui aura duré pas moins d’une heure, couvrant même le contenu de ma présentation à la Conférence ! Au bout du compte, on me laissa sortir et un représentant de l’Université de Birzeit me conduisit en Cisjordanie par la route. Je découvris un paysage aride, rocailleux et quasi-désertique qui est, malgré tout, le lopin de territoire le plus convoité, le plus disputé du monde.
La conférence était de haute facture. Des sommités de l’hydro-politique (on parle aujourd’hui aussi d’hydro-diplomatie) y prirent part. Feu Prof Tony Allan (Grande Bretagne) y présenta –peut-être pour la première fois— sa théorie sur « l’eau virtuelle » qui se réfère non pas à l’eau physiquement observable mais aux quantités non visibles mais incorporées dans les processus de production des biens et services, en particulier de produits agricoles. Ses travaux sur cette question lui vaudront, en 2008, le prestigieux Prix de l’eau de Stockholm (Stockholm Water Prize). Parmi les participants on comptait d’éminents scientifiques nord-américains, d’Amérique Latine, d’Afrique du Nord, d’Europe et du Moyen Orient (Egypte, Jordanie, Liban), et même des experts israéliens (par exemple de l’Université de Haïfa).  Bien que les points de vue furent souvent divergents, les débats furent serins et techniques. Autant que je me rappelle, on n’était jamais sorti du terrain scientifique. Une conférence normale, de haute qualité à tous points de vue.
Le contexte était cependant tendu. On s’en est rendu compte lors de la visite de la ville de Jérusalem, à une vingtaine de km de Ramallah. A chacun des nombreux postes de contrôle installés par les forces de sécurité israélienne le long de la route –chaque 2-3 km—il fallait s’arrêter, montrer les pièces d’identité. On aura ainsi fait près de deux heures pour la courte distance qui sépare les deux villes, ce qui semble-t-il était le sort quotidiennement réservé à tous les habitants de Cisjordanie se rendant à Jérusalem ou en Israël pour le travail.
Arrivés à Jérusalem, nous fûmes l’objet de contrôles incessants, partout. On a cependant pu visiter l’Eglise du Saint Sépulcre puis l’esplanade des mosquées qui était aussi sous la garde des forces de sécurité israélienne qui filtraient les entrées et vous escortaient presque durant toute la visite, y compris à l’intérieur des mosquées.  Pour le musulman que je suis ce fut un immense privilège d’avoir pu visiter et prier dans la mosquée du Dôme du Rocher qui, avec sa coupole dorée, est le symbole le plus connu de Jérusalem.  Selon la tradition islamique, c’est là qu’eut lieu l’ascension nocturne du Prophète Mohamed (psl). C’est au cours de cette ascension qu’Allah lui a transmis la prescription des cinq prières quotidiennes qui constituent un des piliers de l’Islam. Quelques mètres plus loin, la mosquée d’Al-Aqsa. Je pus y prier aussi sous la surveillance rapprochée d’un agent des forces de sécurité israéliennes lourdement armé.
Ce qui frappe à Jérusalem, c’est la concentration sur un petit lopin de terre des plus hauts lieux sainteté des trois grandes religions monothéistes. L’Esplanade des Mosquées est le troisième lieu saint de l’Islam après la Kaaba à la Mecque et la Mosquée du Prophète (psl) à Médine. L’Eglise du Saint Sépulcre, considérée par beaucoup de Chrétiens comme étant le lieu abritant le tombeau de Jésus, est à moins de cinq cents mètres de l’Esplanade des Mosquées. Et c’est en fait un des pans du mur de clôture de ce dernier édifice qui constitue le Mur des Lamentations – plus haut lieu saint du Judaïsme. Ces trois lieux saints tiennent dans un carré de moins de 1km de côté !  Tout prédestinait donc Jérusalem à être une terre de paix, de coexistence entre les grandes religions monothéiste. On devrait s’y rendre en pèlerinage pour célébrer la tolérance inter-religieuse. Elle est au contraire aujourd’hui une terre de discorde, une source de tensions et de confrontation entre peuples et entre religions.
La visite de Jérusalem et les tracasseries à l’aller comme au retour m’ont ouvert les yeux sur la réalité de la Palestine, terre sous occupation. Les étudiants qui étaient venus en grand nombre prendre part à la Conférence, avaient la mine triste. Je me suis demandé comment leurs parents et enseignants pouvaient les motiver dans leurs études. Je pense souvent à eux et ce qu’ils ont pu devenir, eux qui sont aujourd’hui âgés de 40 à 50 ans. Ont-ils pu finir leurs études ? Pour quel travail ? Et leurs enfants ? Ceux-ci ont peut-être aujourd’hui le même âge que ma fille, née la même année (1999), qui vient de terminer ses universitaires et est à la recherche d’emploi.
Depuis mon voyage en Palestine, la situation s’est fortement dégradée. La deuxième Intifada a suivi la visite de Ariel Sharon (leader d’un parti de la droite dure israélienne) dans l’Esplanade des mosquées en septembre 2000. Les années suivantes furent marquées par des actes de représailles de la part des forces de défense et de sécurité israéliennes, suivies d’attentats-suicides par de jeunes palestiniens, de répression féroce faisant un carnage et des milliers de prisonniers au sein de la population palestinienne, puis la construction d’un mur accentuant l’isolement de la Cisjordanie palestinienne, la poursuite de la colonisation, et donc du grignotage de ce qui restait de la Palestine, les expropriations massives de palestiniens à Jérusalem, la décision de faire de Jérusalem la capitale d’Israël, etc. La désolation en Cisjordanie est profonde, avec une population brimée, humiliée, et une jeunesse sans perspectives.
Pourtant, le sort de la Cisjordanie est presque enviable comparé à celui de la bande de Gaza, l’autre lambeau de terre de ce que l’on appelle aujourd’hui territoire palestinien. Nicolas Sarkozy a comparé Gaza à une « prison à ciel ouvert ». Plus de 70% des jeunes y sont au chômage. C’est ici que des militants du Hamas ont préparé l’attaque du 7 octobre dernier.
Touchée dans son amour-propre, avec le mythe de l’inviolabilité du territoire hébreu qui s’est effondré, l’armée israélienne est dans tous ses états. Elle encercle et pilonne Gaza, occasionnant d’immenses dégâts matériels, des milliers de morts, des centaines de milliers de déplacés. L’eau, l’énergie (électricité), l’alimentation sont utilisées comme arme contre la population gazaouie. Aucun moyen de représailles n’est épargné. On parle de plus en plus de crimes de guerre, et même de crime contre l’humanité depuis que des bombes lancées sur un hôpital firent des centaines de morts.
Du point de vue du Premier Ministre Netanyahu « Israël est en guerre ». Contre qui ? Pas toujours spécifié mais apparemment contre le Hamas dont les jours seraient comptés. Le pouvoir israélien semble cependant perdre de vue le fait que le Hamas est le fruit de l’étouffement continue des territoires palestiniens, le chômage endémique, la pauvreté, la spoliation des populations de leurs terres de cultures et leurs maisons, l’humiliation, la répression, les emprisonnements et, surtout, l’absence de perspectives, de raisons de vivre et d’espérer pour la jeunesse palestinienne.
Tant que ce contexte reste inchangé, de nouveaux Hamas vont émerger à Gaza, en Cisjordanie ou dans la diaspora palestinienne. Et ils vont résister avec les moyens du bord, mais des moyens de plus en sophistiqués, à la faveur de la démocratisation de l’accès à l’information, à la science et à la technologie. La seule issue viable pour tous est de changer le contexte, de le rendre plus juste, équitable et dignifiant. Cela va demander des négociations ardues qui vont nécessiter de la bonne foi, de la volonté et de l’humilité, de part et d’autre.

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