Art, architecture, illustration : la révolution des IA génératives est en marche

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Frédéric Rose est le fondateur d’Imkitech, l’une des rares agences de création françaises qui travaille avec des intelligences artificielles. Il nous explique en quoi elles changent son métier.

Depuis plusieurs mois, les IA créatives fascinent autant qu’elles inquiètent. Le bouillonnement technique de ce secteur qui s’appuie sur des communautés open source fait que n’importe quel internaute est maintenant capable de générer des images extrêmement complexes en quelques secondes. Tandis que les médias comme The Atlantic, Cosmopolitan (mais aussi L’ADN) commencent à illustrer leurs articles avec ces outils, d’autres secteurs moins visibles commencent à être touchés en profondeur par cette technologie. C’est notamment le cas des industries culturelles, de l’architecture et du design qui vont devoir, dans les années à venir, changer leur manière d’aborder la création.

C’est en tout cas l’avis de Frédéric Rose, fondateur de la startup Imkitech. En deux ans d’activité, son entreprise a mené à bien plusieurs projets reposant sur les technologies deep fake ou l’art génératif : la scénographie du théâtre antique d’Orange, la restauration du discours historique de Robert Badinter demandant l’abolition de la peine de mort ou un docufiction qui peut intégrer le visage des visiteurs d’un musée en temps réel. Comment se présente l’avenir quand on est aux avant-postes de cette petite révolution ? Voici quelques éléments de réponses.

Comment fonctionne Imki ? Est-ce vous qui fabriquez vos propres IA ?

Frédéric Rose : On ne fabrique pas nos propres réseaux de neurones, car c’est une activité qui est réservée à des laboratoires qui ont beaucoup plus de moyens. Cependant, nous travaillons avec de jeunes docteurs en IA qui savent soulever le capot de ces machines et travailler le code des modèles qui sont mis à disposition en open source. Contrairement aux GAFAM qui veulent créer des intelligences artificielles ultimes qui pourraient tout faire, nous nous concentrons surtout sur des modèles qui peuvent faire des choses limitées, mais de la meilleure manière possible, que ça soit du deep fake, ou de la génération d’image.

Comment les IA ont changé votre façon de travailler par rapport à une boîte d’effets spéciaux ou d’infographie plus classique ?

F. R. : Les IA changent surtout notre rapport au temps de production et au budget. Elles nous donnent les capacités de produire un volume de contenus très variés qui coûterait beaucoup trop cher en temps et en argent s’ils étaient faits par des humains. Le docufiction que nous avons créé pour la maison carrée de Nîme intègre la tête des visiteurs en temps réel dans un film que nous avons créé. Si je devais le faire avec des effets spéciaux classiques, ça coûterait entre 200 et 300 000 euros par tête et cela ne pourrait pas se faire en temps réel. Pour le théâtre antique d’Orange, on a créé une projection visuelle et sonore immersive. Les IA me génèrent un million d’éléments différents pour créer un champ de fleur gigantesque. Le lendemain, on peut lui demander de recréer un autre million d’éléments pour donner un champ de fleurs complètement différent. Pour nous, les IA ne vont pas forcément remplacer les artistes, mais vont nous permettre d’avoir un gigantesque effet de levier sur les possibilités créatrices.

L’une des questions que l’on se pose le plus est justement celle du remplacement des artistes par des IA. Comment voyez-vous les choses ?

F. R. : Il faut déjà partir du constat que nous sommes dans une accélération exponentielle de ces techniques et qu’il est difficile de voir ce que ça va donner dans les 5 années à venir. Une chose est certaine, les métiers de la création vont être totalement chamboulés, et très rapidement. Pour la direction artistique, on travaille avec Etienne Mineur qui est l’un des rares DA à s’être emparé des IA. Il prévient déjà les élèves auxquels il enseigne que leur travail va totalement changer. On sait déjà qu’ils seront en concurrence avec les machines pour tout ce qui touche à du design basique. Un designer a besoin d’un brief et de temps pour produire tandis qu’une IA peut générer 50 idées en quelques secondes. Sur ce plan, les changements sociétaux vont être aussi importants que l’arrivée de la photo numérique. Cependant, ces outils ont encore des progrès à faire pour être vraiment inquiétants.

De quel progrès parlez-vous ?

F. R. : Tout ce que produisent les IA dépend des bases de données contenant des milliards d’œuvres qui ont été réalisées par des artistes ou bien des photos disponibles sur Internet. C’est un peu comme si on copiait ou remixait le travail d’autres personnes à une échelle industrielle. Non seulement ça pose des questions de droit d’auteur impossible à résoudre, car il est difficile de savoir ce qui se trouve dans les bases de données, mais en plus, les IA sont incapables de créer ex nihilo. Toutes les œuvres que l’on voit sur le Web semblent avoir la même teinte, le même graphisme, la même composition. Le jour où l’on verra de l’art génératif créer une œuvre vraiment originale alors on aura passé une étape. En attendant, d’autres changements vont avoir lieu en profondeur et le grand public ne va pas forcément en avoir conscience.

Quels sont les autres domaines qui vont être impactés ?

F. R. : Dans le domaine de l’architecture, de l’ingénierie et du design, les choses vont vraiment bouger. On a des travaux au MIT ou les IA dessinent des plans de structures en intégrant des contraintes de fabrication. Ça devient totalement délirant, car ces modèles peuvent dessiner un bijou, une voiture ou un immeuble en intégrant le processus industriel, les contraintes liées aux matériaux et dire tout de suite si un objet ou un bâtiment tient le coup ou pas. Certains modèles sont capables de dessiner un parking, un lotissement ou même un plan d’urbanisme de manière plus efficace qu’un humain. Reste à voir si elles feront mieux qu’un Jean Nouvel, en ayant cette part d’affect, d’émotion ou de bagage culturel qui accompagne l’art.

Au-delà des inquiétudes, quelles sont les autres innovations intéressantes que vont apporter les IA ?

F. R. : L’IA générative ne sert pas seulement à créer des œuvres, elle permet aussi de mieux comprendre l’art de manière générale. Nous travaillons par exemple avec le Victoria Albert Museum pour recréer des pigments disparus que l’on mettait sur des tissus, dans des peintures ou sur des sculptures polychromiques. Nous travaillons avec le référent français de l’œuvre de Van Gogh pour analyser son œuvre. On peut identifier des schémas typiques de son art qui nous permettront ensuite d’authentifier des pièces sur lesquelles on se pose des questions.

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