Première femme élue à la section d’architecture de l’Académie des beaux-arts, Anne Démians a été installée sous la coupole de l’Institut de France le 18 janvier 2023 par le photographe Sebastião Salgado. Elle occupe le fauteuil de Roger Taillibert.
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Avec son col Mao et ses feuilles argent qui courent à l’horizontale sur son buste, Anne Démians se distingue des autres Immortels dans son habit d’académicienne créé par le styliste Nicolas Ghesquière. Le secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, Laurent Petitgirard, a introduit la séance en notant avec humour que le machisme règne encore chez les architectes. Car, oui, la section architecture n’avait jamais compté de femmes en son sein.
Le photographe brésilien Sebastião Salgado a convoqué pour cette installation ses sept sœurs qui, a-t-il avoué, n’ont pas eu les mêmes chances que lui professionnellement. Il a retracé le parcours de la jeune Anne (née en 1963), très tôt attirée par le dessin et l’histoire, mais aussi la géométrie et les mathématiques. Passions qui la lieront à son professeur de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles, le « fantasque » Henri Gaudin, auprès de qui elle travaillera pendant sept ans avant de créer sa propre agence en 1995. Et Salgado de saluer « l’entêtement que vous aviez, tous les deux, à installer une complexité jubilatoire dans l’expression des formes ».
Classicisme moderne
Réductible à aucun programme, revendiquant un « classicisme moderne », Anne Démians a notamment signé Dunes (2016), siège de la Société Générale à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), « une entité-paysage surprenante, formée de trois plis et de vallons ensemencés ». Elle a déposé le label « Immeuble à destination indéterminée », incarné par l’élégante opération Black Swans, livrée en 2019. « Une idée qui vous permet de répondre aux mutations de plus en plus fréquentes et rapides du monde moderne, en construisant, comme vous l’avez fait à Strasbourg, trois immeubles capables d’adopter tout type de programme domestique et de les interchanger à la demande », admire le photographe.
Elle mène actuellement des chantiers colossaux dans la capitale comme celui de l’École supérieure de physique et de chimie industrielles ou la requalification en centre de recherche médicale de l’Hôtel-Dieu accompagnée d’une nef évanescente. À Nancy, plus d’un siècle après son interruption en 1917, elle vient d’achever la construction des thermes auxquels elle a greffé une extension métallique noire coiffée d’un dôme.
Calculs et poésie
Dans un discours enlevé et percutant, Anne Démians a ensuite prononcé l’éloge de l’intransigeant Roger Taillibert (1926-2019) qui avait justement manifesté haut et fort le regret de ne voir aucune femme dans cette section. Dans les années 1960 et 1970, il a réalisé d’époustouflants équipements sportifs aux lignes organiques grâce à de nouvelles techniques de construction et méthodes de calcul : voiles minces de la piscine de Deauville, toile étirée et câbles déployés de la couverture rétractable de la piscine de la rue Carnot à Paris, béton précontraint et porte-à-faux du Parc des Princes. Sans oublier le chantier titanesque du stade des Jeux olympiques de 1976 à Montréal qui s’est transformé en cauchemar pour l’architecte, encore focalisé sur ce dossier jusqu’à sa mort.
À l’issue de la séance, Marie-Christine Labourdette, présidente du Château de Fontainebleau, a remis à Anne Démians son épée d’académicienne. L’architecte a transformé l’arme en stylet, pour signifier toute la force du dessin. En carbone et acier, ornée d’une obsidienne noire, elle ne comporte aucune excroissance et s’éloigne ainsi au maximum de toute connotation phallique !