La mutation du coronavirus a déjà eu lieu et c’est plutôt une bonne chose

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Non, le virus n’a pas muté pour devenir plus mortel. Ces changements évolutifs sont courants, mais n’ont aucun impact, si ce n’est dans la lutte contre l’épidémie.

La mutation du coronavirus a déjà eu lieu et c'est plutôt une bonne chose
La mutation du coronavirus a déjà eu lieu et c’est plutôt une bonne chose

SANTÉ – Mutation. C’est le mot clé indispensable de tout film apocalyptique évoquant une maladie. Alors logiquement, alors que le nouveau coronavirus se répand partout dans le monde, nous menaçant de pandémie, la crainte que ce virus ne mute est présente. À tel point que Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, a souhaité rassurer jeudi 5 mars en affirmant que le coronavirus Sars-Cov 2 avait connu une ”évolution” et non une “mutation”.

Une manière d’éviter à la population de croire que le coronavirus était devenu plus mortel. Pourtant, le coronavirus Sars-Cov2 a bel et bien déjà muté. Il y a même eu plusieurs mutations. Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est totalement normal. Ce phénomène est si classique qu’il est utilisé par les scientifiques pour tenter de mieux cerner, traquer et endiguer le nouveau coronavirus.

Cela ne veut pas dire que des mutations ne pourraient pas rendre la maladie covid-19 plus virulente. Mais pour l’instant, ce n’est pas du tout le cas. Et une telle chose est très rare. Pour comprendre pourquoi, il faut d’abord savoir comment un virus fonctionne.

Une mutation est une faute de frappe

Son but est de s’accrocher à une cellule et de “l’infecter”, d’y déposer à l’intérieur son propre génome. Cela lui permet en quelque sorte de pirater la production de la cellule et de créer des copies de lui-même, de son ARN. “Chaque copie va alors aller soit infecter d’autres cellules, soit infecter un autre hôte”, explique au HuffPost Sandrine Belouzard, chercheuse au Centre d’infection et d’immunité de Lille.

Sauf que tout cela n’est pas parfait et quand le virus se copie, il fait très souvent des erreurs dans son ARN, les “lettres” de son génome (vous savez, les A, C, T et G). Ce sont les mutations du virus. Mais elles sont en général totalement inoffensives.

Pour comprendre, le mieux est d’imaginer un texte que vous écrivez, explique au HuffPost Emma Hodcroft, chercheuse à l’université de Bâle, spécialiste de la génétique des virus. Si vous faites une coquille, une faute de frappe, “généralement cela ne va pas rendre le document meilleur, ou pire, c’est juste une coquille”, explique-t-elle. “Il y a un très, très petit risque que cela change un mot clé et change ainsi tout le document, mais les chances sont minces”.

Pas impossible, mais très peu probable, comme le rappellent trois chercheurs dans un article publié dans Nature le 18 février. Une mutation unique a permis au chikungunya de s’adapter à une autre espèce de moustique. Une autre a augmenté l’infectiosité d’Ebola sur des cellules humaines. Mais ces cas sont rares et impossibles à prévoir. De plus, les caractéristiques importantes, comme le mode de transmission et la virulence d’un virus “peuvent être contrôlés par de multiples gènes”, précisent les auteurs.

“Parfois, les mutations peuvent s’accumuler sur le long terme. Pour le Sras, il a été démontré que le passage d’un animal, la civette palmiste, à l’homme s’est fait grâce à plusieurs mutations”, rappelle Sandrine Belouzard.

Gare aux analyses biaisées

Mais cela n’a été découvert qu’après beaucoup de recherches. Si nous savons aujourd’hui séquencer les génomes, et ce de plus en plus facilement, on ne sait pas si facilement à quoi correspond chaque gène. “On ne connait pas directement, quand on voit la mutation dans le génome, l’impact pour le virus”, précise la chercheuse. Ce n’est pas parce que nous arrivons à “lire” le texte que nous en comprenons le sens, en quelque sorte.

Et il faut faire attention à ne pas tirer de conclusions hâtives. Ainsi, une étude publiée le 3 mars dans une revue scientifique chinoise, NSR, a fait beaucoup parler. Les auteurs expliquent avoir isolé deux souches (L et S) du nouveau coronavirus en le comparant aux virus proches que l’on trouve dans des chauves-souris sauvages.

Selon leurs résultats, la souche L serait plus virulente que la S. Mais le biologiste Richard Neher a rappelé sur Twitter que cette analyse est probablement biaisée. En effet, de nombreux séquençages de la souche L ont été effectués au début de l’épidémie, à Wuhan, où le taux de mortalité est plus élevé, mais pas en raison du code génétique du virus. Les raisons peuvent être multiples: prise en charge tardive de la maladie, encombrement des hôpitaux, etc. Une analyse que partage Emma Hodcroft.

“Vous ne pouvez pas utiliser des résultats obtenus sur environ 100 virus pour suggérer ce qui se passe pour des centaines de milliers d’infections”, estime de son côté Nathan Grubaugh, professeur d’épidémiologie à l’École de médecine de Yale interrogé par Le HuffPost. Et de rappeler que les changements génétiques constatés via l’analyse du génome relèvent plutôt “de la surveillance, et non de la virologie”.

Pour résumer, le nouveau coronavirus, comme tous les autres, mute très souvent, mais il ne faut pas croire que cela va le changer radicalement. Par contre, ces mutations peuvent devenir des armes pour les chercheurs.

L’arbre généalogique du coronavirus

Grâce aux outils informatiques modernes, il est possible d’utiliser ces changements dans l’ARN du virus pour retracer un “arbre phylogénétique” du nouveau coronavirus Sars-Cov2. Celui-ci permet de savoir où et comment le virus a voyagé dans le monde. C’est “l’épidémiologie génomique”.

Le concept a d’abord été utilisé avec le VIH, rappelle Emma Hodcroft: “Une personne attrapant le VIH à vie, il était plus simple d’avoir des échantillons que pour la grippe”. Mais depuis, le séquençage génétique est devenu beaucoup plus simple, moins coûteux. Et le traitement de ces données s’est amélioré.

“Aujourd’hui, cela coûte 50 à 100 dollars de séquencer le génome d’un coronavirus”, précise Nathan Grubaugh. Ces techniques “ne font pas gagner du temps, mais apportent plutôt une plus-value”, précise-t-il. De quoi mieux comprendre l’évolution de l’épidémie afin d’y faire face plus efficacement.

Trevor Bedford, directeur du laboratoire Bedford au centre de recherche Fred Hutch, explique dans un blog que le coronavirus semble muter environ deux fois par mois. À côté de cela, il se passe environ 7 jours entre le moment où une personne contracte le coronavirus et celui où elle va contaminer quelqu’un d’autre. On peut donc imaginer que toutes les deux transmissions en moyenne, le virus mute. Encore une fois, ce sont de toutes petites mutations, qui sont souvent insignifiantes, de simples coquilles dans le code génétique.

TREVOR BEDFORD Les mutations du nouveau coronavirus, schématisées par Trevor Bedford.
TREVOR BEDFORD
Les mutations du nouveau coronavirus, schématisées par Trevor Bedford.

À la date du vendredi 6 mars, 172 génomes du nouveau coronavirus ont été séquencés dans le monde. Ils sont tous disponibles dans une base de données libre d’accès. À partir de tout cela, il est donc possible d’essayer de retracer l’évolution du virus. Voici par exemple l’arbre phylogénétique du nouveau coronavirus, créé à partir du projet Nextstrain. Les couleurs représentent différentes formes du virus. À droite, c’est la carte du monde qui montre où les versions différentes de Sars-Cov2 ont été séquencées.

Retracer le parcours des infectés

Tout cela peut aider à mieux cerner l’évolution du nouveau coronavirus dans le monde. Normalement, quand on découvre qu’une personne est infectée, les épidémiologistes font du “traçage de contacts”. Via des entretiens notamment, ou des outils technologiques en Chine, les chercheurs déterminent où le malade a été, les personnes qu’il a croisées, pendant combien de temps… Ces informations sont essentielles pour endiguer une épidémie, elles permettent de s’assurer que de potentiels malades ne vont pas propager le virus sans le savoir.

“Mais quand une épidémie grossit, il devient vite impossible” de faire ce genre de traçages, rappelle Emma Hodcroft. C’est ici que l’épidémiologie génomique est utile. “Elle nous permet de détecter des connexions alors que nous ne savons pas où  les gens ont été ou qui ils ont contacté, et ce à travers différents pays”, explique-t-elle.

Trevor Bedford donne un exemple sur son blog: le premier cas détecté aux États-Unis (un voyageur revenant de Wuhan) a été séquencé le 24 janvier dernier, “WA1”. On a pensé qu’il n’avait contaminé personne sur le sol américain. Mais un mois plus tard, un Américain a été détecté avec le coronavirus alors qu’il n’avait pas voyagé. En analysant le génome du virus qui l’avait infecté, “WA2″, les chercheurs se sont rendu compte qu’il était très proche de celui du premier cas détecté, WA1. Si ce n’est qu’il avait trois nouvelles mutations. Ce serait donc assez logique que ce soit le premier cas de coronavirus aux États-Unis, WA1, qui ait contaminé d’autres personnes en “sous-marin”, avant que l’on ne découvre WA2.

Évidemment, la technique n’est pas parfaite. Cela pourrait être simplement dû au hasard, même si c’est statistiquement peu probable. Plus il y a de génomes séquencés, plus la technique est fiable. “Nous ne pouvons que déduire des connexions à partir des données à disposition”, explique Emma Hodcroft. “Par exemple, nous avons des séquences provenant du Canada et d’Australie de voyageurs qui sont passés par l’Iran. Même s’ils sont de pays différents, ils se regroupent [les types de génomes du coronavirus, NDLR], donc nous pensons que ces personnes ont toutes été infectées, séparément, en Iran”. Mais il est impossible pour eux d’en être certain, surtout qu’aucun séquençage n’a eu lieu en Iran.

L’épidémiologie génomique n’est donc qu’un outil parmi d’autres, faillible, mais bien utile pour lutter contre l’épidémie du nouveau coronavirus. Et plus nous connaitrons ses multiples mutations, mieux nous le comprendrons.

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